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Retour à Birkenau (Ginette Kolinka)

  L'homme est un loup pour l'homme La déportation des Juifs sous l'Allemagne nazie est aussi incontestable qu'abjecte. Le lecteur ne peut qu'accuser réception des récits et témoignages de l'époque et personnellement, je les prends toujours en pleine tête. Chaque témoignage est unique et celui de Madame Kolinka est simple, direct et pudique. En tout cas dépouillé de tout artifice et surtout de précisions ou détails qui auraient ajouté pathos et sordide à ce qui l'est déjà. Elle ne s'apesantit pas. De son court récit ressort étonnamment une forme de légèreté. Evidemment pas sur les faits impardonnables eux-mêmes mais sur sa façon d'aborder son récit. Cette légèreté, on a le sentiment que Ginette Kolinka l'a érigée en règle de conduite pour pouvoir avancer, comme une philosophie de vie qu'elle a décidé de cultiver face au malheur. Non pas par manque d'intelligence, comme elle le prétend, mais par choix délibéré du bonheur. Sa manière à elle
Articles récents

Pourvu que mes mains s'en souviennent (Quentin Ebrard)

  Sale colo Louise, la narratrice, est retenue contre son gré dans un mystérieux château en bord de mer. Elle ne rêve que de retrouver ses parents à qui on l'a apparemment enlevée. Pourtant, rien dans cette histoire n'est clair et tout particulièrement dans sa tête. Des souvenirs flous la submerge alors que ses camarades d'infortune paraissent résignés face à une situation insupportable pour elle. Peu importe, avec deux complices pots de colle, elle décide de tout faire pour s'échapper. Voilà le point de départ d'un premier roman vraiment très réussi, à mi-chemin entre le roman jeunesse et le thriller psychologique. Est distillé dès la première page et tout le long du récit, un véritable suspense avec une tension qui monte crescendo grâce au talent de Quentin Ebrard qui lâche les indices au compte-goutte sans qu'on sache clairement les interpréter. Chacun se fait sa petite idée, se monte un film dans sa tête. Ca a fonctionné à fond pour moi car quand le dénoueme

La force des discrets (Susan Cain)

  Introvert power Le sujet est vaste et n'est pas aisé à synthétiser même pour un introverti comme moi davantage à l'aise à l'écrit qu'à l'oral. 😁 Je ne vais pas essayer, je dirais juste que dans nos sociétés occidentales, l'extraversion est perçue comme plus en adéquation avec les codes sociaux généralement admis dans le monde professionnel et dans la sphère intime, que l'introversion qui, au contraire, peut être perçue comme un manquement comportemental. L'essai nous explique que l'extraversion n'est pas forcément un atout et que notre positionnement sur le large spectre de l'introversion et de l'extraversion est une composante innée du tempérament qu'il nous appartient de retoucher pour tendre vers un point d'équilibre, plus ou moins naturel, plus ou moins précaire, nécessaire à l'adaptation à notre environnement et à la sauvegarde de notre harmonie personnelle. Au risque d'être hors sujet, mon observation est que nous

Le goûter du lion (Ogawa Ito)

Partir en paix Shizuku est atteinte d'un cancer incurable. Elle arrive dans l'île aux citrons pour devenir pensionnaire de la Maison du Lion qui, elle l’espère, l’aidera à aborder l’imminence du repos éternel ... Il m'est dorénavant difficile de louper les rendez-vous que Ito Ogawa nous donne depuis quelques années tant ils sont à chaque fois la promesse d'une histoire délicate, apaisante et lumineuse. C’est encore le cas cette fois-ci malgré un sujet compliqué : la fin de vie. La littérature de cette auteure japonaise trouve grâce à mes yeux car elle nous raconte toujours de jolies histoires dans lesquelles elle se débrouille pour introduire, l’air de rien, quelques tuyaux pour suggérer au lecteur de tendre vers une forme de sérénité. Mais elle le fait sans l’implicite injonction que contiennent les livres de développement personnel. Dans ses romans, on a aussi la sensation, en gardant bien en tête que le Japon ce n'est pas que ça, de toucher du doigt la culture ja

Le cabaret des mémoires (Joachim Schnerf)

La mémoire ne doit pas flancher Trois lieux et trois temporalités. Rosa, une vieille dame en Amérique qui témoigne chaque soir dans son cabaret de son expérience de la déportation, son petit neveu Samuel qui, en France, vient d'être papa et, mes passages préférés, les souvenirs de jeux d'enfants de Samuel avec sa soeur et son cousin alors que, dans la forêt vosgienne, ils fantasmaient le far-west de leur grand-tante, le personnage mythique de la famille. J'ai vécu la lecture du beau et court roman de Joachim Schnerf  Le cabaret des mémoires  comme je vivrais celle d'un conte un peu irréel où lyrisme et onirisme se mêleraient aux drames de l'Histoire, un peu à la manière du  Soldat désaccordé  de Gilles Marchand qui se jouait de la première guerre mondiale. Pourtant, à chaque fois, le sujet est grave et le message essentiel. La mémoire, notion aussi capitale que fragile. Samuel mesure le poids de son rôle dans l'éducation de son fils nouveau né quand il sera en â

Versailles, vérités et légendes (Jean-François Solnon)

Mise au point  Versailles est né de la jalousie de Louis XIV envers Fouquet, Versailles est le chef d'oeuvre de l'art classique français, Versailles était peuplé d'une foule de courtisans, Versailles était un cloaque ... Voici quelques-unes des allégations souvent entendues sur lesquelles Jean-François Solnon se penche dans ce "Vérités et légendes" des éditions Perrin. Ce château est dans l'esprit des Français LE palais des rois de France alors qu’il a été la résidence principale de seulement trois d'entre eux (Louis XIV, Louis XV et Louis XVI). Il fait l'objet de beaucoup de croyances dont certaines sont vraies, d’autres fausses et d'autres encore, peut-être les plus nombreuses, qui ne sont que des semi-vérités, exagérées à la hauteur de cet objet de fantasmes pour le monde entier et à toutes les époques. Seuls sont abordés, sous la forme de 39 chapitres, les sujets polémiques qui ont contribué à leur façon à sa notoriété. En refermant le livre, d

Home (Toni Morrison)

Home is where it hurts Je crois qu'avant même d'avoir ouvert Home de Toni Morrison, j'étais fermement décidé à en raffoler. Pas de ce roman en particulier mais de toute oeuvre de l'auteure américaine, lauréate du prix Nobel de littérature qui semble avoir consacré une partie importante de son oeuvre à l'identité noire dans une Amérique ségrégationniste. Je ne pouvais qu'aimer et de fait je n'ai pas détesté, loin de là, mais une forme de distance s'est rapidement installé entre moi et les quelques personnages quelque peu sous-exploités d'un roman au format court et à la narration polyphonique. L'écriture est franchement belle et dégage une atmosphère à la poésie noire mais le style aux accents lyriques rend le récit aux ressorts clairement réalistes, presque irréel, voire vaporeux, comme si Toni Morrison ne souhaitait pas faire peser sur le lecteur toute l'étendue du drame qui se noue. Frank, un noir américain brisé par la guerre de Corée, tr

Call me by your name (André Aciman)

Aller à la "pêche" Le titre du roman est très beau. « Appelle-moi par ton nom et je t'appellerai par le mien » ou l'histoire de la fusion totale pendant quelques semaines entre deux jeunes hommes au cours d'un été des années 80. Avant de tomber dans les bras l'un de l'autre, les deux amants se tournent d'abord autour pendant un petit bout de temps (perdu). Et presque davantage que la liaison dont on devine l'intensité par quelques scènes torrides, c'est ce que je retiens du livre : la frustration de ne pas obtenir l'autre qui précède la terrible perspective de le perdre dans quelques jours. 😥 Cette dramaturgie participe évidemment au plaisir de la lecture que nous offre André Aciman. Ça et ses personnages Elio et Oliver qui font indéniablement rêver. On aimerait être à leur place : jeunes, beaux et bronzés à passer tout un été dans une belle villa italienne, à se baigner, jouer du piano, lire, écrire, aller boire des coups à la piazzetta d

209 rue Saint-Maur Paris Xe, autobiographie d'un immeuble (Ruth Zylberman)

Tirer le fil Autobiographie d'un immeuble ... drôle de formulation, comme si l'immeuble en question, situé tout en haut de la rue Saint-Maur à Paris, prenait la parole pour parler de lui. C'est pourtant l'esprit de ce récit mis en mots par Ruth Zylberman qui nous explique qu'elle a choisi l'adresse presque à l'aveugle parmi la longue liste de lieux répertoriés pour avoir connu l'horreur de la déportation d'enfants juifs pendant l'occupation allemande. Après avoir fini le livre, je me suis logiquement précipité sur le documentaire Les enfants du 209 rue Saint-Maur qui, pour le coup, se concentre vraiment sur ces enfants déportés ou rescapés. J'avoue avoir été un peu déçu car le livre est infiniment plus riche. Il raconte de A à Z la longue et patiente enquête que Ruth Zylberman a mené pour redonner vie à cet immeuble et aux familles qui y ont vécu de sa construction au 19ème siècle jusqu'aux années 2010. Il en dit beaucoup sur ce quartie

On était des loups (Sandrine Collette)

Chante avec les loups Sandrine Collette a de mon point de vue parfaitement réussi son coup. L'esprit et l'ambiance du récit de On était des loups est à l'image de Liam, le narrateur, un homme rugueux, peu éduqué et à l'enfance difficile qui s'isole tôt dans ses montagnes d'Amérique du Nord où il emmènera sa femme rencontré lors d'un de ses rares saut en ville. Un jour, au retour de la chasse, il la retrouve morte, tuée par un ours, protégeant de son corps leur fils. L'homme panique. Pas de se retrouver seul évidemment, ça il sait faire, mais d'avoir la seule responsabilité d'un gamin de 5 ans alors qu'il faut chaque jour arpenter la montagne pour y survivre. Il aura d'abord des réflexes d'auto-conservation, un peu comme un loup qui se débat car pris au piège. Le lecteur suit son périple à cheval et le fil de ses pensées désordonnées, pourtant gorgées de leur poésie et d'une grande justesse car splendidement incarnées par une écri

Là où chantent les écrevisses - Delia Owens

Jolie plume Parents, frères et soeurs sont partis sur les routes en laissant Kya grandir seule au milieu des marais. À l'écart de la population locale, la petite fille ne veut compter que sur elle-même et sur les oiseaux de la lagune pour (sur)vivre. Devenue adulte, deux hommes seront irrésistiblement attirés par elle ... pour le meilleur et pour le pire. Souffle romanesque, puissance des sentiments et intrigue pleine de mystère, le roman m'est apparu polymorphe : romance, historique, sociologique, écologique, d'apprentissage, thriller, policier, de procès. Un palpitant mélange de genres. Pourtant, la particularité la plus marquante de cette fiction riche à tous points de vue est évidemment son ode à la nature, à la liberté et à la solitude. À peine sorti de ses pages, le lecteur n'a qu'une envie : aller trainer là où chantent les écrevisses et nourrir les mouettes et les goëlands de la plage de Kya. Delia Owens raconte avec talent le sud des États-Unis des années 5

La joie de vivre (Émile Zola)

Bonne poire Pour son douzième Rougon-Macquart, Émile Zola ralentit le tempo de sa peinture naturaliste, à l'image d' Une page d'amour qui m'avait laissé un peu la même impression. Cette fois-ci, on est particulièrement loin du bruit et de la fureur du Second Empire, à part pour décrire l'atmosphère d'un coin reculé du pays et de la misère de ses campagnes. Pour La joie de vivre il y a unité de lieu dans la demeure de bourgeois de Bonneville, petite bourgade au pied des falaises grignotée petit à petit par la Manche et ses assauts incessants. Pauline, orpheline des charcutiers Quenu des Halles présents dans Le ventre de Paris, est recueillie par ses cousins de Normandie. Sa joie de vivre naturelle reçue au début avec bienveillance va être progressivement exploitée par les Chanteau, famille gentiment détraquée, rongée par l'égoïsme et l'inconstance. Les caractères difficiles et hauts en couleurs sont si bien campés qu'on s'attache à ses membres,

Le dernier enfant (Philippe Besson)

Rester femme Que peut-on ajouter quand on lit le énième roman, le quatorzième en l'occurrence, d'un auteur chouchou que l'on admire pour sa plume sensible, plutôt simple sans fioriture ce qui n’exclut pas le souci littéraire, qui va droit au coeur car elle sonde le coeur de ses protagonistes ? Évidemment on se répète. Je vais donc juste rappeler que Philippe Besson sait mieux que personne évoquer les tourments de l’âme et il a visé particulièrement juste cette fois-ci en racontant les tourments d'Anne-Marie, une femme qui voit son dernier enfant quitter le foyer après une trentaine d'années de bons et loyaux services. Quand les deux premiers sont partis, c'est passé comme une lettre à la poste car il restait encore Théo à couver, et lui, il n'était pas encore prêt pour bondir hors de sa coquille. Enfin, le pensait-elle car évidemment c'est elle qui n’était pas prête. Elle n’a pas vu le coup venir ou elle n’a pas voulu le voir, dans son cas c’est la même

Le soldat désaccordé (Gilles Marchand)

Je n'étais pas parti la fleur au fusil Ce roman sur la guerre n'est pas tout à fait comme les autres. Pour conter l'histoire du soldat « désaccordé » par l'horreur de la « der des der », il convoque le romantisme, la poésie et le rêve au milieu de la violence des combats. Blessé physiquement, c'est surtout la tête de ce poilu, narrateur du récit, qui n'est plus indemne. Son esprit ne quittera jamais le front, ni tout à fait la guerre après l'armistice. Enquêteur privé pour le compte des familles à la recherche de leurs chers disparus, il va devenir petit à petit obsédé par l'histoire d'amour fou entre Émile et Lucie, îlot de beauté dans toute cette laideur. Une bouée de sauvetage pour lui qui a tout perdu à cause du conflit, sauf le droit de vivre la vie des autres par procuration, de la rêver, de s'y confondre.  J'ai aimé la constante ambivalence de ce roman qui fait cohabiter l'abomination des tranchées et de ses conséquences avec le ré

Le combat des chefs (René Goscinny et Albert Uderzo)

  Lancer de menhir Dernière trouvaille des Romains de Babaorum : capturer Panoramix puis provoquer, selon la tradition gauloise, un "combat des chefs". Privé de la potion magique, Abraracourcix devrait se battre contre le chef survitaminé d'un village "gallo-romain" voisin et, en cas de défaite, lui céder le village d'irréductibles Gaulois. C’est bien sûr compter sans la maestria d’Astérix et Obélix qui vont éviter l'enlèvement du druide. La manie d'Obélix de lancer du menhir à tout-va les mettra quand même dans l'embarras. Cet album avait ma préférence quand j'étais enfant. Je me souviens que j'aimais bien quand Astérix ne partait pas en expédition dans des contrées lointaines, comme l'Égypte ou l'Hispanie, aux moeurs bien moins gauloises. Astérix et son ami Obélix vivaient de tout aussi excitantes aventures en restant au village et dans ses alentours. C'est une bien étrange chose que de parcourir trente ans après une BD lue,

Pastorale américaine (Philip Roth)

Une histoire américaine « Pastorale américaine » ou le portrait de l'Amérique du vingtième siècle par le biais autofictionnel habituel de Philip Roth, celui de la communauté juive de Newark, New Jersey.   Couple parfait sur le papier, à tous points de vue conforme au rêve américain, « Le Suédois », sportif plein d'allure au lycée et maintenant chef d'entreprise, et son épouse, ancienne reine de beauté en quête de sens, n’échapperont pas aux drames que la vie ne manque pas d'apporter à tout un chacun. Leur fille unique, prunelle de leurs yeux, n'est pas aussi douée qu'eux pour le bonheur. Cela va quelque peu noircir le tableau. Ce roman m'a en quelque sorte fasciné par sa structure. L'histoire qui nous est racontée est relativement simple mais elle est tissée de digressions incessantes qui se succèdent les unes aux autres dans un fourre-tout qui n'est évidemment qu'apparent. Quand l’écrivain s’empare d’un épiphénomène du récit, il le tord dans